juillet 1, 2024

Le Château des Poisons – Serge Brussolo

Auteur : Serge Brussolo

Editeur : Le Livre de Poche

Genre : Policier, Historique

Résumé :

Ordonné chevalier en récompense de sa bravoure, Jehan de Montpéril n’en est pas moins réduit, pour gagner sa vie, à escorter les voyageurs sur les routes dangereuses. C’est ainsi qu’il est amené, sur les pas de l’étrange moine Dorius, trafiquant de reliques, au château d’Ornan de Guy où surviennent de tragiques événements…
Les morts se multiplient au milieu des festins de noces. Les tournois se changent en traquenards. Les mares du pays alentour sont empoisonnées. On murmure que, la nuit, apparaît une bête fabuleuse. Des doigts accusateurs se tendent vers Irana, la femme troubadour aux chansons provocantes et sensuelles…

Avis :

Certains auteurs, prolifiques, n’ont pas la même chance que d’autres, dans le sens où leur succès reste confidentiel, tout simplement parce qu’ils ne sont jamais adaptés au cinéma ou en série. Selon les termes d’un certain Michel Bussi, Serge Brussolo peut être considéré comme tel, car malgré sa plume inégalable, il reste une sorte d’auteur maudit qui n’a jamais eu les joies d’une quelconque adaptation de ses bouquins. Pourtant, Serge Brussolo est un stakhanoviste accompli, avec un rythme d’écriture qui fut, pendant un temps, d’un livre tous les deux mois. Reconnu par ses pairs, devenu chef de collection chez Le Masque, jouant un rôle important dans la collection science-fiction de chez Fleuve Noir dans les années 80, Serge Brussolo est un auteur fortement apprécié, et qui a embrassé tous les genres. D’ailleurs, après la science-fiction et le fantastique, c’est vers le thriller historique qu’il se tourne dans les années 90.

En 1997, pour être précis, Serge Brussolo propose alors Le Château des Poisons, un roman se déroulant au Moyen-Âge dans lequel nous allons suivre Jehan de Montpéril, un chevalier sans terre et sans le sou, qui va devenir routier afin d’acheminer gens et biens d’un endroit à l’autre. Après une introduction qui nous explique comment Jehan est devenu chevalier, il va être missionné par le prêtre Dorius qui doit aller chercher des reliques pour soigner le duc Ornan de Guy de la lèpre. En effet, ce dernier est malade, mais il doit se marier et honorer sa future femme sans craindre de lui refiler sa maladie. En cours de route, Jehan croise Irana, une troubadour qui se rend aussi au château pour les festivités. Seulement, le trouble assaille Jehan lorsque Irana lui raconte que le duc n’est pas malade et que Dorius ne fait cela que pour la gloire.

Ainsi donc, Le Château des Poisons commence presque comme un raod trip où deux personnages font se faire face, opposant alors leurs croyances et leur mode de vie. Dorius est un prêtre chaste et borné dans sa religion, alors qu’Irana pourrait presque représenter le diable, à raconter des histoires lascives qui passionnent les foules. Jehan est alors pris entre deux feux, ne faisant pas confiance aux délires religieux du prêtre, mais se méfiant aussi d’Irana et de sa beauté voluptueuse. Serge Brussolo nous place bien au sein de cette ambiguïté qui tourmente le héros, qui ne sait que croire, et dont les doutes vont redoubler une fois au château. En effet, si tout tend à aller vers le raisonnement de la trobairitz (un ancien mot pour troubadour), certains éléments vont à l’encontre de ce qu’elle raconte et des personnages secondaires vont se rajouter à l’histoire.

L’auteur brouille constamment les pistes, notamment lorsqu’il place Jehan en compagnie d’un ancien camarade, lui aussi devenu chevalier sans le sou, ou encore lorsqu’il présente le gouteur du roi comme quelqu’un d’étrange, qui savoure les plaisirs de la vie alors qu’il peut mourir du jour au lendemain. De plus, l’écrivain rend l’ensemble très malsain avec une plume fluide et des détails impressionnants autour de l’atmosphère du règne au château. Nous sommes plongés dans un Moyen-Âge poisseux, sans pitié, ou tout un chacun peut mourir à n’importe quel moment. Serge Brussolo joue constamment sur les croyances, apportant de l’importance dans des faits divers pour imprégner son récit d’une aura maléfique et tourmentée. C’est glauque au possible, mais cela reflète aussi une part de vérité qui est assez intéressante. Tout comme il place son héros dans des situations délicates, voire dangereuses.

Et là, c’est l’un des plaisirs de Brussolo, sa marque de fabrique, provoquant sans cesse la déchéance de son personnage principal. Jehan va se faire rouler, il va se faire clouer la langue, torturer, jeter dans une rivière en étant enfermé dans un sac, rouer de coups lors d’un tournoi de chevaliers, bref, il n’est jamais épargné, et à chaque fois qu’il pense avoir trouvé la solution, son raisonnement est mis à mal. Fort heureusement, malgré tous ces méfaits, Jehan reste un homme droit, un peu fataliste, mais qui ne se laisse jamais faire et fait ce qui doit être fait. C’est pour cela que l’on va ressentir de l’empathie pour lui et que la lecture va devenir un réel plaisir. Plaisir décuplé lorsque l’on gratte un peu les thèmes derrière la boue des chemins de traverse.

Ici, Serge Brussolo critique avidement la religion. Même si nous sommes en plein Moyen-Âge, la chrétienté est pointée du doigt comme un mal opportuniste. Dorius représente ce prêtre grassouillet et qui ne souffre pas de la famine, ayant alors des dents très longues pour monter les échelons. Une religion qui ne sert qu’à punir, faire peur, afin de profiter à quelques privilégiés. Mais ce n’est pas tout. Ici, on peut aussi y voir le thème de l’amour qui rend fou. Ou encore cette recherche sans fin d’une certaine reconnaissance, quitte à mettre sa vie en péril. La conclusion du récit est à la fois nihiliste et touchante, à l’image de toute cette histoire où les ambitions et les croyances ont détruit la pureté et l’innocence.

Au final, Le Château des Poisons est une très belle réussite. Le côté historique est parfaitement retranscrit, plongeant le lecteur dans un Moyen-Âge rude et sans pitié, où les croyances se heurtent à une enquête plus terre à terre. Si l’auteur s’amuse à imprégner son récit de quelques éléments fantastiques, c’est pour mieux nous tromper et mettre en avant des situations où l’horreur n’est jamais loin. Bref, c’est aussi court que dense, et l’ensemble nous tient en haleine jusqu’à la toute fin, comme tout bon polar qui se respecte.

Note : 16/20

Par AqME

AqME

Amateur d'horreur, Métalleux dans l'âme, je succombe facilement à des images de chatons.

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